COMMENT RENFORCER LA BIENTRAITANCE DES PERSONNES VULNERABLES ?

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Publié le par chez Proformed . Modifié le

COMMENT RENFORCER LA BIENTRAITANCE
DES PERSONNES VULNÉRABLES ?

DÉBAT DE L’ORDRE NATIONAL DES MÉDECINS

 

À l’occasion de notre séminaire Proformed sur la Bientraitance des personnes vulnérables, nous avons choisi de vous retranscrire un extrait du débat de l’Ordre National des Médecins, de septembre 2015, sur ce sujet encore d’actualité aujourd’hui. Ce débat est consacré au public concernant les personnes âgées, les personnes handicapées et Alzheimer.

 

Comment renforcer la bientraitance des personnes vulnérables ?

 

Aujourd’hui les tendances de la société conduisent à une demande et un besoin de plus en plus d’autonomie de ce public et, en même temps, l’autonomie doit se faire dans un cadre d’accompagnement. Toute la difficulté est de trouver le bon équilibre entre ce besoin d’autonomie et ce besoin d’accompagnement dans une bientraitance.
On parle de bientraitance, mais il sera évoqué aussi dans ce débat la maltraitance qui est malheureusement aussi présente.

 
Dans ce débat, participation de :

Olivier Sylvain Bottineau, vice-président du tribunal d’instance de Lagny-sur-Marne
Rachel Moutier, coordinatrice juridique du pôle santé du Défenseur des droits
Pascal Jacob, président de l’association Handidactique
Robert Moulias, président d’honneur de la Fédération 3977 contre la maltraitance
Irène Kahn-Bensaude, vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des médecins

Le débat est présidé par Irène Kahn-Bensaude, vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des médecins, et animé par Isabelle Gounin-Lévy, journaliste à LCI.

 

Qui sont les personnes vulnérables ?

Isabelle GOUNIN-LEVY
Quelle est la définition de ces personnes vulnérables ? Comment les identifier ?
 

Irène KAHN-BENSAUDE
La définition de la personne vulnérable est extraite du rapport annuel de la Cour de cassation de 2009 de M.LAGARDE. Ce sont les personnes qui, dans une situation pathologique ou hors norme, ne sont, de fait, pas en mesure d’exercer correctement leurs droits et libertés. Elle est différente de la définition de la personne handicapée. L’article 1 de la convention relative aux Droits des personnes handicapées (CDPH) de 2006 donne une définition de la personne handicapée : « on entend toute personne qui présente des incapacités physiques, mentales, intellectuelles, ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. »

 
 
Isabelle GOUNIN-LEVY
Que représente cette population en France ?

Irène KAHN-BENSAUDE
Vous avez dû entendre hier (nb : 21 septembre 2015), lors de la journée de l’Alzheimer, que ne serait-ce que pour cette maladie, il y aura 200 000 cas de plus par an, ce qui est déjà impressionnant. L’enquête handicap de 2010 indique que 3 millions de personnes sont en perte d’autonomie, que 700 000 sont en forte dépendance et que 6 millions de personnes sont handicapées. Cette population est amenée à continuer de croître, l’arrivée de la génération baby-boom ne faisant qu’augmenter son nombre. Nous savons tous que la population vieillit, que les affections chroniques augmentent et que c’est la première fois que vivent en même temps quatre générations. […]

 

Pascal JACOB
Les personnes handicapées représentent environ 10 % de la population française et c’est le même chiffre dans l’ensemble des pays européens. Dans certains pays, très touchés par la guerre, cela peut aller jusqu’à 15 %, voire un peu plus. Aujourd’hui, ce pourcentage est en augmentation.
Je préfèrerais que l’on parle de handicap plutôt que de maladie. Il y a une distinction importante à faire. Les difficultés que nous rencontrons sont de pouvoir accompagner ces personnes, difficultés d’autant plus grandes qu’aujourd’hui, dans le cadre du soin, nous sommes face pour beaucoup à un écueil difficile à entendre qui est que 70 % des personnes adultes handicapées déclarent abandonner tout ou partie de leurs soins parce qu’elles n’y arrivent pas.

 
 
Isabelle GOUNIN-LEVY
Pourquoi ? C’est tout de même un chiffre important.
 

Pascal JACOB
Et il ne va pas aller en diminuant !
La première grande difficulté est de donner envie aux acteurs de soins de soigner la personne handicapée comme on soigne toutes les personnes valides. Aujourd’hui, ces acteurs de soins ne sont pas formés à cela, ils n’ont pas été motivés et sensibilisés à le faire. Cette notion nécessitera aussi des aménagements économiques. […] 
La deuxième difficulté, la plus difficile et grave, est que l’on soigne trop tard parce que l’on ne sait pas. Une personne handicapée sur deux ne sait pas qu’elle a mal. Il faut donc des protocoles qui permettent d’anticiper. Aujourd’hui, lorsque l’on découvre une tumeur sur une personne valide, elle fait en moyenne moins de 3 millimètres, alors que lorsqu’on la découvre sur une personne handicapée, elle fait en moyenne plus de 4 centimètres.
Il y a un tel retard que lorsque l’on soigne la personne handicapée on est dans une situation de gravité telle que la médecine de ville a du mal à rencontrer le handicap. Les urgences sont alors souvent le lieu d’accueil alors qu’elles ne sont pas pour autant plus formées à les accueillir les personnes handicapées. Environ 80 % des personnes handicapées qui se rendent aux urgences, ressortent entre 12 et 24 heures après sans avoir eu aucun soin hospitalier.
Enfin, élément encore plus difficile à comprendre : une personne handicapée sur deux est atteinte d’une maladie chronique et 75 % d’entre elles ne sont pas ou insuffisamment soignées. […]

 
 

La bientraitance

[…]
Isabelle GOUNIN-LEVY
La bientraitance, contrairement à la maltraitance, a une connotation préventive qu’il vaut mieux prévenir que guérir. La première des bientraitances est peut-être justement cette prévention. Il faut repérer quelles sont ces personnes vulnérables, parvenir à les distinguer. Y a-t-il des profils de personnes plus sensibles à cette maltraitance ou plus susceptibles de développer ou faire l’objet de maltraitance que d’autres ?
 

Robert MOULIAS
Bien sûr. Les premières victimes sont les personnes qui présentent des déficiences, quel que soit leur âge, et pour lesquelles il y a un problème de prise en soin et aide, ce qui est déférent des délinquances.
Il y a dans le « traiter mal » un lien entre la personne qui s’occupe de « traiter », quelque soit son rôle proche ou professionnel, et la personne qui reçoit l’aide ou le soin. Il y a toujours dans la maltraitance une emprise qui fait que c’est une violence totalement différente des autres violences puisqu’il y a ce lien étroit, affectif ou de mission professionnelle. Les victimes sont les personnes qui se trouvent plus ou moins dépendantes d’autres personnes pour leurs activités élémentaires de la vie quotidienne.
En premier lieu, les chiffres de la Fédération indiquent que, quel soit l’âge, ceux qui ont des troubles psychiques ou des troubles cognitifs sont plus victimes de maltraitance. Les statistiques internationales montrent également que les personnes atteintes de troubles psychiques, psychotiques, sont beaucoup plus victimes de maltraitance qu’auteurs de maltraitance, tout comme les handicapés mentaux.
Parmi les aînés, les personnes ayant des troubles cognitifs et comportementaux sont beaucoup plus victimes de maltraitance que celles, par exemple, qui ont des déficiences sensorielles ou motrices. Les personnes atteintes de troubles mentaux ou psychotiques sont particulièrement plus exposées à des situations de maltraitance.

Il y a aussi toutes les situations où la personne est dépendante des autres pour ses activités élémentaires de la vie quotidienne, toutes les situations de grande dépendance. Sont également susceptibles de maltraitance les personnes qui s’occupent de personnes dépendantes. Dans les cas d’Alzheimer par exemple, le proche aidant est pratiquement autant, ou plus, victime de maltraitance que la personne aidée. Dans la maladie d’Alzheimer, le proche aidant a une mortalité supérieure de deux tiers à celle de ses contemporains, que ce soit le conjoint ou la fille (c’est rarement un fils).

On pourrait aussi définir la Bientraitance par deux formules elliptiques. L’une provient de la pédo-psychologie et non pas de la gériatrie. Ces psychologues disent que pour la personne dépendante, qu’est tout nourrisson, l’objectif est son bien-être et qu’il ne suffit pas d’avoir parfaitement répondu à toutes les normes et toutes les recommandations pour que le nourrisson soit bien traité. Il a besoin de vie sociale et de contact humains. La bientraitance c’est ce qui manque une fois que l’on a accompli toutes les normes et toutes les recommandations. Cela s’adapte parfaitement aux personnes dépendantes de la gériatrie ou du handicap.
La deuxième formule, plus percutante, est que « La bientraitance est ce qui permet à la personne en situation de dépendance de ne plus vivre cette dépendance comme une déchéance ». […]

 

Rachel MOUTIER
Nous n’avons pas parlé du fait qu’une personne peut être vulnérable de façon temporaire, à un mot moment donné de sa vie. C’est là qu’il est compliqué d’apporter des chiffres parce qu’à un moment de sa vie, à cause d’un événement, une chute, une hospitalisation, la perte de son conjoint, la personne peut être en capacité d’exprimer sa volonté, de faire preuve de jugement éclairé, mais à un autre moment elle sera en état de vulnérabilité et retrouvera ensuite sa pleine capacité. Il est donc important de pouvoir identifier ce moment de la vie d’une personne. Cette forme de vulnérabilité n’est aujourd’hui que peu prise en compte.

 

Sylvain BOTTINEAU
Pour l’autorité judiciaire et le magistrat, juge des tutelles, la définition de la vulnérabilité va s’interpréter par les règles du code civil. Cela amène dans les faits à distinguer 3 types de pathologies puisque la protection des personnes vulnérables croise le droit et la médecine.

À côté de ce que nous appelons les pathologies neuro-dégénératives, il y a les pathologies psychiatriques et enfin les autres pathologies dont les accidents vasculaires cérébraux, par exemple, qui sont une large composante et qui justifient la mise en place d’une mesure de protection.

Notre définition est peut-être un peu plus rigide, mais cadre bien l’intervention judiciaire. La mesure de protection a cette ambiguïté qu’elle protège en même temps qu’elle aliène puisque la personne protégée ne va plus avoir, en tout ou partie, l’exercice d’un certain nombre de ses droits. C’est d’ailleurs pour cela que la mise en œuvre de ces mesures est confiée au juge judiciaire qui est le gardien des libertés. Il faut composer avec cette contradiction.

 
 

Difficultés de mise en place de la bientraitance

Isabelle GOUNIN-LEVY
Après cette définition des personnes vulnérables, comment peuvent s’allier dans cette chaîne les professionnels de la médecine et les professionnels du droit ? Le premier professionnel concerné est, en général, le médecin. Que dit le code de déontologie ?

 

Irène-KAHN-BENSAUDE
[…] Le code de déontologie, lui-même, qui est tiré du code de la santé publique, comporte dans ses 103 articles au moins une dizaine d’articles qui peuvent s’appliquer à la protection des personnes vulnérables ou à la bientraitance.

Par le code déontologie, le médecin est tenu aux devoirs suivants envers les personnes vulnérables :
     – le médecin doit une information, claire et appropriée ;
     – il doit, dans la mesure où l’état de la personne le permet, recueillir le consentement du patient aux soins, afin que celle-ci puisse prendre seule la décision. En cas de maltraitance, comme le lui autorise l’article 44 du code de santé publique, il doit faire un signalement au procureur de la République.

Soulignons également le rôle particulier qu’a le médecin dans la rédaction du certificat médical circonstancié. Ce certificat donne toutes les indications nécessaires afin que le juge puisse prendre la bonne décision.

Par ailleurs, la loi de 2007 sur la protection des personnes vulnérables, rappelle le respect des libertés individuelles. Cette loi a institué un certain nombre d’éléments, comme que le mandat de protection future, la modification de la sauvegarde de justice et créé des prestations sociales.

 

Isabelle GOUNIN-LEVY
Le rôle du médecin est fondamental, mais il n’est pas forcément facile non plus. Le médecin étant le premier à être au contact du patient, s’il dénonce cette maltraitance il va peut-être contribuer à isoler le patient.

 

Pascal JACOB
Vous parlez du médecin, mais il faut parler de tous ceux qui sont à côté de nos enfants handicapés, à commencer par la personne de la crèche, l’enseignant, etc.

Aujourd’hui en Allemagne par exemple, on est capable d’avoir des doutes sur l’autisme dès les 9 mois de l’enfant. En France, nous avons une moyenne de diagnostic de l’autisme au-delà des 5 ans. Perdre 4 à 5 ans d’accompagnement à une personne autiste, c’est lui faire perdre quasiment toutes ses chances de pouvoir vivre avec tout le monde par la suite. A mon sens, si l’on veut que la bientraitance existe, il faut une conjugaison des compétences de l’accompagnement et du soin afin qu’ils se comprennent, s’écoutent et fonctionnent ensemble. Ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui et c’est un élément majeur. […]

D’autre part, la maltraitance c’est trop souvent ne pas être prêt à accueillir. Je n’ai jamais réellement vu de professionnels ayant envie d’être maltraités. En revanche, j’ai vu énormément de professionnels, parce que non formés et non accompagnés, devenir des maltraitants. C’est là que nous avons un vrai problème de travail en commun à réaliser. Je le vois à travers la tutelle qui est une forme d’accompagnement. C’est d’abord une forme d’accompagnement, car elle est le complément qui va permettre à la personne d’être un acteur de la vie avec tous. Et elle aura une autre forme d’intelligence à côté d’elle pour conjuguer avec elle ce qu’elle doit faire dans sa propre vie et dans son destin.

Nous avons un vrai problème de fond qui est de se parler et de travailler ensemble. Nous avons un manque de coordination médicale incroyable dans le domaine du handicap. […] Aujourd’hui, une personne handicapée sur 3 décède d’iatrogénie. Cela signifie que le mélange des médicaments et la non-coordination médicale représentent aujourd’hui une source de maltraitance effrayante parce que tout le monde agit dans son coin en sa bonne intelligence, mais de façon non coordonnée. […]

 

Isabelle GOUNIN-LEVY
Dans ce que vous dites, on ressent cette maltraitance qui peut venir tout simplement du manque de connaissance ou de coordination. Il y a également d’autres maltraitances plus « évidentes » par exemple la personne âgée dépendante de la personne qui s’occupe d’elle et qui peut détourner ses fonds. Il y a parfois des choses plus évidentes qui se passent au quotidien ou dans les instituts.

 

Robert MOULIAS
A la Fédération 39 77 contre la maltraitance, nous sommes en train d’essayer de décrire les typologies des maltraitances qui dépendent du lieu où se trouve la personne que ce soit le domicile, l’institution ou l’hôpital ou encore la cité comme on dit. Je souhaite céder la parole au Dr DELAUNAY dans la salle qui est président d’un centre d’écoute pluridisciplinaire de la maltraitance à Rouen et qui a l’expérience de ce qui arrive du point de vue du repérage et des gens qui appellent dans ces situations.

 

Pierre DE LAUNAY
Je souhaiterais rappeler la définition donnée par le Conseil de l’Ordre en 1987 et qui fait, je crois, autorité : « la violence se caractérise par tout acte ou omission commis par une personne, s’il porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique ou à la liberté d’une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à sa sécurité financière.  Cela recouvre l’ensemble de toutes les situations enregistrées.Je suis Président d’une antenne ALMA (ALlô MAltraitance) régionale. […] Nous avons maintenant dépassé ce stade et nous formons une fédération qui couvre l’ensemble du territoire.Concrètement, il y a le téléphone (3977) et c’est important parce qu’il représente la proximité. Les gens ne vont pas forcément voir ni le procureur ni la police ni le médecin. À partir de là, et en fonction d’une éthique de fonctionnement, nous apportons de l’aide ou une orientation aux personnes et nous les dirigeons vers le lieu où elles ont le plus de chances d’avoir une réponse à leur demande.Je ne vais pas faire la typologie des actes de maltraitance parce que sur 1000 dossiers on voit beaucoup de choses : des maltraitances physiques, psychologiques et financières entre autres. […] J’aimerais faire valoir l’idée que, d’une part, la proximité est très importante, il faut permettre aux gens d’avoir le recours le plus simple et le plus facile possible, d’autre part, il existe le concept des maltraitances visibles, mais aussi des maltraitances invisibles et plus on travaille, plus on se rend compte que certaines personnes ne disent rien.

 

Isabelle GOUNIN-LEVY
Les maltraités ne prennent pas leur téléphone, ils ont peur et c’est le début d’un engrenage.
 
 
Pierre DELAUNAY

Notre concept est très riche parce qu’il augmente notre vigilance et permet, avec une mise en confiance, de faire révéler des maltraitances dites invisibles.D’autre part, il y a le flux d’informations. À partir du moment où une personne émet une plainte, il y a un circuit idéal qui lui fait traverser un nombre incroyable de services et lieux divers et variés, et qui doit ensuite retourner à la personne victime. Cette notion de chaîne est importante et le médecin n’est qu’un acteur de la chaîne. L’intérêt est de faire en sorte que la chaîne ne soit pas interrompue par des retards des non-prises en compte, etc. L’implantation de la Fédération permet ce service de proximité ce qui nous permet de voir beaucoup de choses. Je croyais pourtant avoir tout vu en tant que médecin hospitalier, mais au téléphone on rencontre bien pire, c’est sordide, violent, délictueux et pervers. On n’imagine pas que certaines personnes puissent être dans un tel état de souffrance extrême sans jamais oser en parler.

 
 
Isabelle GOUNIN-LEVY
Justement, comment détecter cette maltraitance et y remédier ? Il y a bien sûr le rôle du médecin, de l’équipe médicale, mais aussi des accompagnants comme on l’a dit tout à l’heure qui sont en contact avec la personne victime, mais comment s’insère le droit ? Comment renforcer cette détection de la personne maltraitée ?

 

Sylvain BOTTINEAU
Je reprendrai l’intervention de M.JACOB sur la difficulté de prise en charge du handicap notamment dans le milieu hospitalier.

Juridiquement, il y a une explication. La loi de 2007 arrive, enfin, après de multiples demandes des acteurs du terrain et va se substituer à la première loi réellement sur les mesures de protection qui est la loi de 1968.La personne vulnérable n’est pas le sujet, c’est la protection de son patrimoine et plus exactement la conservation du patrimoine de cette personne dans la sphère de la famille. C’est-à-dire que c’est la figure du pater familias qui est prise en considération.Il n’est pas question qu’une personne en état de faiblesse ait la très mauvaise idée de dépenser elle-même son argent ou autre ou de le léguer à un conjoint, à un ami, etc. Donc l’objectif de la loi de 1968 vise à conserver les biens dans la famille par le sang. Ainsi, dans un premier temps on ne s’occupe pas des souffrances ou des difficultés de la personne. D’ailleurs, les mandataires gèrent comme des banquiers un patrimoine en ne se préoccupant pas de l’expression de la volonté de la personne.

Il faut attendre 1989 pour que la Cour de cassation pose le principe que la protection ne concerne pas seulement le patrimoine, mais également la personne.[…]Je vous rejoins sur la difficulté majeure que le domaine de la protection est un domaine dans lequel on ne se parle pas alors que dans d’autres domaines les magistrats sont habitués à travailler avec des partenaires extérieurs à l’institution judiciaire. Le juge est derrière son secret professionnel, le médecin est derrière son secret professionnel et il n’y a pas de communication. Or comment un juge, qui n’est pas médecin, peut s’occuper d’une personne schizophrène ou d’une personne autiste ? C’est impossible.

C’est, à mon avis, le défi des années à venir, consacrer un processus de pluridisciplinarité. […]

Il faut donc tous se mettre autour d’une table : les médecins, les juges, les avocats, les infirmières, les travailleurs sociaux et les familles, afin qu’il y ait un discours commun et que l’on prenne enfin des mesures qui soient exclusivement centrées non plus sur une formule qu’il est agréable de prononcer, mais une réalité, c’est-à-dire le respect des droits fondamentaux.

 

Pascal JACOB
Tout cela est tout de même sociétal. En 1975, on disait que la personne handicapée était un bénéficiaire. En 2002, on disait que c’était un usager. Grâce à la loi du 11 février 2005, on dit que c’est un citoyen.Ce que vous dites, c’est que si l’on respectait et mettait en place cette loi de 2005, on n’aurait pas ces problèmes. Aujourd’hui, qui peut être une tutelle et un accompagnant comme on le définit dans les pays anglo-saxons ? C’est la personne qui connait et qui vit à côté de la personne. Il faudrait favoriser les parents, les aidants, les voisins, qui sont aujourd’hui des acteurs incontournables pour permettre à la personne…La plus grande maltraitance aujourd’hui est de mettre à l’écart les personnes qui sont différentes ! Cette maltraitance est insupportable et d’une violence incroyable pour ces personnes. Je crois que la maltraitance c’est la mise à l’écart et à chaque fois que l’on oublie une personne handicapée, on l’a met à l’écart de la société.

 
 
Isabelle GOUNIN-LEVY
Mme MOUTIER, comment arrivez-vous dans cette chaîne pour aider ces personnes maltraitées ? Avez-vous le sentiment aujourd’hui que vous arrivez assez tôt dans cette chaîne ? Ne faudrait-il pas davantage de prévention ?
 
 
Rachel MOUTIER
Le pôle santé du Défenseur des droits traite 11 % des saisines reçues par le Défenseur des droits. Les cas qui concernent la maltraitance ou les négligences représentent 25 % des saisines du pôle santé. Le pôle santé du Défenseur des droits peut être saisi via une plateforme téléphonique avec un numéro dédié le 0810 455 455, qui fonctionne très bien dans ces cas de figure car la parole est plus facile pour dénoncer ce genre de faits. Le Défenseur dispose également d’un réseau de délégués en région qui accueillent physiquement les réclamants dans des permanences (Préfecture, Maison du droit…) et il est vrai que la proximité joue aussi beaucoup pour la personne âgée.

 
 
 
Isabelle GOUNIN-LEVY
Les personnes maltraitées appellent-elles beaucoup ?
 
Rachel MOUTIER
Non justement, la personne vulnérable maltraitée ne nous appelle que très rarement ce qui est compréhensible parce qu’il y a tout le côté affecte quand on parle de maltraitance, surtout quand la maltraitance vient des familles ou des proches. Au pôle santé, la plupart de nos dossiers de maltraitance ne font pas la une des journaux. C’est de la maltraitance que l’on appelle « ordinaire », mot très choquant pour parler des négligences passives, des soins sans information, sans préparation, des demandes pour des besoins physiologiques qui ne sont pas respectés, le non-respect de l’intimité, etc.Si les personnes maltraitées ne nous saisissent pas c’est aussi parce qu’elles ne sont pas souvent en capacité de le faire. Une personne âgée ne se plaint pas, comme elle ne va pas s’opposer à son entrée en établissement, c’est très rare parce qu’il existe une pression sociétale, familiale. Une personne âgée ou vulnérable ne veut pas déranger.Quand on parle de maltraitance financière, l’affect de l’argent est encore plus fort. La maltraitance financière provient le plus souvent des proches. C’est donc aussi une maltraitance très sensible, souvent insidieuse.Les saisines relatives à la maltraitance ou négligence concernent le plus souvent des personnes hébergées en établissement mais le nombre de saisines concernant le domicile augmente, ce qui tout autant, voir plus sensible, car au domicile, on est en vase clos.Quand les faits se déroulent en établissement nous appelons la structure, renouons le contact et dénouons des situations devenues passionnelles. Nous pouvons aussi réaliser des auditions ou aller sur place pour faire des vérifications…Mais c’est le pouvoir de médiation du Défenseur des droits que nous utilisons le plus dans ces cas de figure. L’origine des conflits tient souvent dans une rupture de dialogue. D’autant plus que dans les établissements médico-sociaux le dispositif de médiation qui existe, la personne qualifiée, le conseil de vie sociale, ne fonctionne pas correctement. En ouvrant le dialogue, en mettant en relation les différents interlocuteurs, en faisant des médiations, les situations se règlent souvent de façon apaisée.
 
 
 
Isabelle GOUNIN-LEVY
Finalement, qui appelle ?
 
Rachel MOUTIER
Les proches, les familles des personnes vulnérables mais aussi les professionnels de santé (des médecins, des infirmières…).

 
 
Isabelle GOUNIN-LEVY
On vient de parler du domicile et des établissements spécialisés où il y a parfois de grosses différences d’un service à l’autre pour des questions de concurrence, etc. Certaines maltraitances ne sont pas connues parce que les choses ne sortent pas de l’établissement.

Irène-KAHN-BENSAUDE
Effectivement, j’ai eu l’occasion de voir une affaire dans lequel deux chefs de service de gériatrie ont été poursuivis et sanctionnés, car quelques aides soignants et infirmiers, servaient des repas froids aux patients lorsqu’ils étaient aux toilettes. Cet hôpital comportait deux services de gériatrie et les chefs de ces services n’ont pas voulu dénoncer les professionnels de santé parce que cela risquait de montrer que le service est moins bon que l’autre, ils étaient entrés en compétition.Dans la loi sur la protection de l’enfance de 2007, une cellule de recueil des informations préoccupantes a été créée. Cette cellule a l’avantage que lorsque l’on suppose ou estime qu’un enfant risque un danger on peut saisir la cellule de recueil de cette information et la cellule décide de transmettre au procureur et des suites à donner. Ne pourrait-on pas imaginer pour prévenir qu’une personne seule chez elle voit l’aidant arriver à des heures inadmissibles, lui servir des repas froids, lui demander de l’argent, etc., et puisque nous ne pouvons pas saisir le procureur de la République, de créer un équivalent à la Cellule de recueil et d’information des informations préoccupantes (CRIP) pour les personnes vulnérables ?

 

Propositions

Isabelle GOUNIN-LEVY
Effectivement, que pouvons-nous faire ? Passons maintenant aux solutions à mettre en place.

Dominique TERRASSON, cheffe de projet « maltraitance » au bureau de la protection des personnes (DGCS)
Effectivement depuis 2013 les ministres en charge de l’époque, Mmes DELAUNAY et CARLOTTI, ont créé un Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes (CNBD). Dans le cadre de ce comité, plusieurs axes de travail étaient prioritaires dont justement celui de la problématique du repérage et du traitement des situations.

Le groupe de travail a fait plusieurs préconisations dont améliorer la coordination des acteurs qui reçoivent les alertes ou signalements, que ce soit le service associatif, les numéros, les communes, les travailleurs sociaux, les autorités administratives comme le conseil départemental ou l’ARS–tout autant d’acteurs qui peuvent être interpellés et qui ont du mal à se coordonner. […]

Cette expérimentation est menée depuis un an. On vient d’en finaliser l’évaluation qui met en évidence l’impérieuse nécessité de consolider cette coordination et de lui donner une structure. Pour autant, on se rend compte que la difficulté pour le secteur des adultes vulnérables n’est pas du tout la même que pour celui des enfants puisqu’ils n’ont pas tous une altération de leurs facultés et il y a donc toute la problématique du consentement de ces personnes qui sont des adultes et non pas des mineures.

Il y a également des problèmes de définition comme vous en avez parlé, identifier les situations est tout à fait différent dès lors que l’on a une suspicion ou un doute, ce que nous appelons les informations préoccupantes. On est préoccupé par une situation, mais on n’est pas certain, il faut donc pouvoir la caractériser et la catégoriser comme maltraitance, négligence, violence, etc. Il y a donc encore tout un travail d’affinement à faire sur ces sujets.

 
 
Isabelle GOUNIN-LEVY
Que faire lorsque l’on a une suspicion de maltraitance ? On a bien compris que l’ensemble des acteurs devait parvenir à dialoguer ensemble, mais j’aimerais que l’on fasse un tour de table, sur la méthode et les autres solutions que l’on peut préconiser.
 
 
Pascal JACOB

Il faut tout d’abord essayer de déterminer comment démarre la maltraitance. Très souvent en tant que parent, gestionnaire ou acteur du monde du handicap, on s’aperçoit que c’est le quotidien qui est le plus difficile. Qu’est-ce qui fait que les professionnels en arrivent à des situations de maltraitance ? C’est que le dialogue entre les acteurs du quotidien–comme le médecin qui arrive à un moment donné, mais qui n’a pas la connaissance de ce qui passe–entre en contradiction et que l’on met en porte à faux le professionnel ou le parent, ce qui a été mon cas. Dans de nombreux cas, on ne sait plus ce qu’il faut faire.

Il faut créer les conditions du réflexe tant de l’aidant que du professionnel, que de la famille et qui plus est encore de la personne elle-même.

Il est installé aujourd’hui une éducation et des choix à l’école de la santé, de l’autonomie. On doit permettre à la personne d’avoir un recours. Il est très important de permettre à la personne d’être aussi acteur et là on arrêterait plus de 50 % des maltraitances lorsque l’on écoute la personne elle-même.  […]

J’attire l’attention sur le fait que la maltraitance n’est pas uniquement du côté de la personne vulnérable, elle est aussi dans celle du professionnel tellement démuni au quotidien. Les mères qui ont un problème d’allaitement peuvent téléphoner à l’hôpital pour savoir pourquoi l’enfant ne veut pas téter et il y a toujours quelqu’un pour répondre. Si on pouvait avoir un tel accueil téléphonique pour les parents ou professionnels qui ne savent pas. S’ils étaient suivis et accompagnés, on tuerait dans l’œuf beaucoup de maltraitances.

 
 
Robert MOULIAS

Si l’on réfléchit à l’origine des maltraitances, on s’aperçoit qu’une majorité est liée à l’inconscience des besoins, l’ignorance des réponses ou à l’impossibilité d’assurer la réponse. Cette majorité de maltraitances est involontaire et est susceptible d’une prévention efficace par la formation. Le traiter-mal dans les soins et aides autres relève souvent du rôle du médecin qui a la responsabilité de diriger soins et aides.

A côté de conduire le « traiter–bien », il s’agit de repérer la maltraitance. Le médecin devrait avoir le rôle de témoin sachant. Un des facteurs de la maltraitance est l’isolement, là où il y a des témoins, il y a moins de maltraitance. Souvent dans les lieux de haut confinement, que ce soit au domicile ou en institution, le dernier témoin indépendant reste le médecin. Malheureusement il n’est pas formé à ce repérage. En France, il y a un problème de formation du médecin à voir ce qu’il a sous ses yeux et qu’il n’est pas formé à voir. D’autre part, s’il le voit, il est en très grande difficulté parce qu’il ne sait où s’adresser et comment ne pas rompre le lien avec le patient en dénonçant quelque chose de façon officielle.

Le risque est que le patient change de médecin. Comment faire ? Le médecin ne doit pas rester seul et peut demander conseil sur ce qu’il a à faire et qui peut être de son ressort : améliorer les soins, changer d’établissement, mettre en œuvre une sauvegarde de justice, etc. […]

L’autre difficulté de fond est qu’une des grandes causes de maltraitance, c’est le fait que dans la loi ait complètement confondu le service à la personne et l’assistance à la dépendance alors que ce n’est pas la même chose. Dans un cas, la personne est indépendante, elle est capable de faire et dans l’autre, la personne ne peut pas vivre sans cette assistance. Cela ne devrait relever ni de la même formation ni de la même déontologie et éthique ni du même financement.

 
 
Isabelle GOUNIN-LEVY
Pour les autres solutions à mettre à place, tournons-nous vers le côté juridique, comment intervenez-vous ? Comment parvenez-vous à prendre votre place, qui sont les personnes qui vous appellent et quelles sont vos actions ?
 
 
Rachel MOUTIER

En pratique, il ne faut pas oublier que les professionnels de santé ont des contraintes administratives, financières. Chacun manque de temps et de façon exponentielle. De ce fait, il y a des situations où malheureusement ces contraintes incitent à sortir du droit et à devenir soit même maltraitant. Parfois, lorsque l’on en arrive à être étouffé par toutes ces contraintes administratives, financières, etc., il faut pouvoir prendre le recul nécessaire et redonner du sens à ce que l’on fait et redonner du sens à la relation soignant/soigné.

Quant aux propositions, un rapport établi en 2011 par Monsieur Jean-Paul DELEVOYE, Médiateur de la République, sur la maltraitance financière en institution, concluait que ce n’est pas en établissement que la maltraitance financière était la plus présente, mais au domicile et qu’elle venait des proches. Ce rapport qui malheureusement est toujours très actuel, préconisait un audit préventif pluridisciplinaire à la fois sur la situation personnelle de la personne (situation médicale, besoins quotidiens, aides sociales, entourage,…), patrimoniale, juridique et fiscale. C’est une démarche qui pourrait être lancée lors de situations de rupture de la vie. On voit très souvent que c’est à des moments précis que cela dégringole (une chute, une hospitalisation, un retour à domicile difficile, le décès du conjoint,etc.) Il faut pouvoir anticiper cette possibilité de maltraitance.

Il faut aussi anticiper la protection de la personne âgée. Il existe plusieurs dispositifs juridiques pour la personne âgée ou vulnérable lorsqu’elle est encore capable de prendre des mesures pour elle. Il y a la personne de confiance à laquelle les professionnels de santé peuvent se référer. Il y a également le mandat de protection future où la personne peut désigner quelqu’un pour prendre les décisions en matière de patrimoine et de personne. Ces mesures visent à anticiper sa protection.

Nous avons aussi beaucoup travaillé à anticiper le consentement de la personne âgée, notamment lorsqu’elle entre en institution car elle est bien souvent plus capable de consentir. Il y a des moments où la personne âgée est encore capable de donner son « assentiment », c’est-à-dire que la personne ne consent pas explicitement, mais elle ne s’y oppose pas.

Par ailleurs, le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement comporte une nouvelle disposition qui prévoit que les établissements médicosociaux seront dans l’obligation d’informer les autorités administratives compétentes (ARS, préfet de département, président du conseil général), de tout évènement ayant pour conséquence de menacer ou compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ; ce qui est une grande avancée.

Le projet de loi intégrera également une nouvelle disposition permettant la poursuite des curateurs et des tuteurs familiaux lorsqu’ils détournent des biens ou des fonds dans le cadre d’une mesure de protection qui leur a été confiée.

 

Isabelle GOUNIN-LEVY
Vous vous rejoignez tous sur un premier diagnostic qui est de faire davantage de formation, que tous les professionnels concernés soient davantage à l’écoute, etc. Quelles sont les autres solutions que vous préconisez ?
 
 
Sylvain BOTTINEAU

Ce n’est pas une question de formation, c’est apprendre à travailler ensemble.

Je souligne que le domaine de l’immunité n’est pas absolu aujourd’hui. Le fait d’être tuteur d’une personne protégée ne confère en aucun cas une immunité pénale en particulier sur l’abus de faiblesse.

Je serai également un peu politiquement incorrect sur trois points. D’une part, on constate aujourd’hui que plus de 50 % des mesures de protection sont confiées à des professionnels parce que l’on note une défection très nette dans les familles. Nous en sommes régulièrement soit à rejeter ces requêtes, soit à dessaisir les familles parce que nous notons un conflit d’intérêts entre les familles et les personnes protégées.

D’autre part, on demande au juge des tutelles de désigner les familles. Je veux bien, mais à ce jour un juge des tutelles n’a aucun moyen de contrôler l’environnement, les conditions de vie de la personne surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant dont les parents veulent prendre la mesure de protection.

Donc, la première des choses, lorsqu’une famille veut mettre en œuvre une mesure de protection, est qu’il y ait une enquête préalable, c’est totalement indispensable. La charge de tuteur ou de curateur est extrêmement lourde et a des effets très importants pour la personne protégée. Il faut un contrôle de l’autorité publique sur la personne à qui l’on va confier la mesure et sur les conditions où elle va s’exercer. C’est indispensable.

Par ailleurs, si l’on veut mettre les familles dans le dispositif réel, non seulement il faut contrôler, mais il faut aussi accompagner et assister. […] Devenir le tuteur de son enfant n’est absolument pas anodin. Beaucoup de parents se disent qu’étant le père ou la mère, ils sauront faire. Non, ce n’est pas pareil, ils entrent là dans une sphère publique de même que beaucoup de parents ne comprennent pas l’intrusion du juge. On ne leur parle plus en tant que père de…, mais en tant que tuteur. Cela change tout et donc, oui, on demande des comptes sur la façon dont ils gèrent le quotidien de leur enfant, son patrimoine, etc., et ils ne savent pas tout cela. Il y a un véritable problème d’information et aussi de contrôle sur les familles. […]

Quant au respect des droits, il faut aussi une véritable discussion sur ce que l’on entend par là. Certaines personnes ne sont même pas capable de dire si tout va bien ni même d’exprimer une volonté. Il y a effectivement l’idée que la volonté va être exprimée par quelqu’un d’autre, mais cela devient déjà très compliqué parce que de quel droit quelqu’un peut prendre… C’est très compliqué, comment recueillir celle-ci face à des personnes dans l’incapacité totale ou partielle d’exprimer leur volonté ? Faire attention à quelqu’un nous savons tous ce que cela signifie, ne pas maltraiter aussi. Mais, nous avons le cas typique des personnes âgées avec une maladie neurodégénérative qui nous disent « moi, mon argent, je veux le dépenser tout de suite, laissez-moi faire », nous intervenons ou pas, mais nous commençons à avoir des discussions compliquées. Les enfants disent « je n’ai jamais voulu contrarier la volonté de ma mère, si elle veut dépenser son argent,qu’elle le dépense ». On explique que la mère se met en danger, « oui, mais elle le veut ». Non, en fait, elle ne le veut pas et en même temps il y a la volonté « déclarée ».

Enfin, il faut travailler ensemble et je prône plus, en matière de vulnérabilité, d’élargir le dispositif des mesures de protection, mais en le modulant parce que l’on en est encore seulement à la curatelle simple qui est l’assistance. La curatelle renforcée, c’est l’assistance sauf pour les comptes où c’est le contrôle complet par le curateur et la tutelle. Toutes les possibilités de modulation par la loi ne sont pas du tout mises en œuvre. La curatelle peut être aménagée du plus léger au plus rigoureux, mais on ne le fait pas. En curatelle renforcée, le médecin peut opposer le secret médical. En tutelle, le tuteur peut demander à se faire expliquer les choses, il n’y a plus de secret médical. Comment voulez-vous qu’un mandataire, qu’il soit familial ou professionnel, s’occupe de personnes avec des pathologies problématiques (schizophrénie) ou neurodégénératives s’il n’y a pas le médecin dans la boucle ? Le médecin doit être associé à la mesure. […]

Si le but du législateur et notre but à tous est de regarder les dossiers et de les contrôler, prenons une matinée sans les personnes dans un premier temps, mais les professionnels et familles et étudions les dossiers. Ensuite, on va se dire que l’on peut entendre telle personne, mais que cela va l’angoisser et que cela ne donnera rien alors qu’une autre a besoin d’être entendue, etc. On peut faire du sur mesure. Si on travaille ensemble, on peut réexaminer très rapidement l’ensemble des dossiers qui pourront être revus périodiquement. La maltraitance arrive lorsque l’on ne se parle plus.

 
 
 
Irène-KAHN-BENSAUDE

Je vous remercie d’avoir apporté toutes ces contributions. Il est difficile de résumer parce que beaucoup de choses ont été dites. On retrouve quasiment partout, aussi bien dans les coopérations entre médecins, professionnels de santé, etc., le fait de tous se connaitre et de travailler ensemble. Je pense que c’est le plus important.

Nous allons donc continuer à œuvrer pour la bientraitance des personnes vulnérables.

 

Isabelle GOUNIN-LEVY

Merci à tous les intervenants et à vous tous pour vos contributions.

 

  • Retrouvez l’intégralité du débat ICI

 

  • Et pour allez plus loin sur le sujet, retrouvez le bulletin de l’Ordre National des médecins du mois « MÉDECINS« , consacré à ce sujet.