Les troubles du comportement des personnes âgées
À l’occasion de notre prochain séminaire Proformed, les 25, 26 et 29 juin sur « Les troubles du comportement chez la personne âgée« , voici un article sur ce sujet. Pour ce séminaire, nous nous déplaçons chez vous. Les inscriptions au séminaire sont ouvertes !
Agitation, anxiété, déambulation, agressivité, désorientation… les troubles du comportement chez la personne âgée démente sont le quotidien des équipes transdisciplinaires travaillant en gérontologie (USLD, EHPAD, SSIAD, accueil de jour, UHR, PASA, etc…). Ils peuvent être très perturbateurs pour l’entourage et causer une grande détresse et sentiment d’impuissance chez les aidants.
Les troubles du comportement comportent des attitudes parfois intolérables ou inacceptables, tels la violence physique, les errances, les cris, les projections d’objets qui surviennent souvent chez les personnes âgées dépressives ou démentes.
Lorsque de tels troubles apparaissent, une évaluation doit être réalisée pour repérer d’éventuels facteurs causaux. La prise en charge comporte principalement des méthodes non-médicamenteuses. Pour autant, l’utilisation des thérapeutiques médicamenteuses peut être nécessaire, en particulier lorsqu’il existe des symptômes psychotiques ou une auto ou hétéro-agressivité.
REDÉFINIR LES TROUBLES DU COMPORTEMENT
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) propose la définition suivante des troubles du comportement :
« Par troubles mentaux et du comportement, on entend des affections cliniquement significatives qui se caractérisent par un changement du mode de pensée, de l’humeur (affects) ou du comportement associé à une détresse psychique et/ou à une altération des fonctions mentales ».
Par parler de trouble du comportement, il faut que soient présentes les trois caractéristiques suivantes : la conduite est inadaptée ou aberrante compte tenu du contexte où elle se produit, il y a rupture avec le comportement antérieur et enfin il doit y avoir un retentissement sur les actes de la vie quotidienne.
Dans le cas de la maladie d’Alzheimer ou de démences apparentées, on parle souvent de symptômes comportementaux et psychologiques des démences (SCPD). Ce sont souvent ces symptômes qui perturbent le plus l’entourage et qui sont à l’origine d’une hospitalisation ou d’une institutionnalisation définitive.
Parmi ces troubles du comportement on peut citer : l’exaltation, l’euphorie, l’anxiété, les idées délirantes, les hallucinations, l’agitation, l’agressivité, l’impulsivité, la désinhibition, l’apathie, l’indifférence, les troubles du sommeil, l’irritabilité, l’instabilité de l’humeur, les troubles de l’appétit, la dépression…
Les troubles du comportement de la personne âgée sont l’une des causes les plus fréquentes de leur hospitalisation en court séjour psychogériarique. Un article récent précise que cette hospitalisation peut être justifiée si ceux-ci s’aggravent brutalement et durablement, malgré une bonne attitude de l’équipe soignante de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et de l’entourage à domicile. La rationalité des soins passe par des modalités de prise en charge adaptées pour éviter d’encourager l’utilisation de neuroleptiques volontiers qualifiés de “camisoles chimiques”. Face à ces “vieillards difficiles”, la persistance des désordres comportementaux est fréquemment vécue sur un mode culpabilisant par les équipes de soins, induisant un surinvestissement qui est une des sources de burn-out.
Rappelons qu’il existe des causes psychiatriques aux troubles du comportement, que les antipsychotiques sont parfois indispensables et que le soutien psychothérapique est insuffisant à lui seul dans les processus hallucinatoires, comme il le serait dans une forme grave d’épilepsie.
UNE ORIGINE COMPLEXE
Les troubles du comportement de la personne âgée ont une origine complexe.
Rarement un seul problème est en cause et, par exemple, une pathologie somatique aiguë, un trouble préalable de la personnalité, la iatrogenèse, des difficultés d’intégration dans une nouvelle structure d’hébergement ou un conflit intrafamilial se combinent pour précipiter l’écologie relationnelle d’une personne âgée. Par définition, un trouble du comportement est un comportement inadapté à la norme attendue. Cela implique un écart entre l’expression verbale et non verbale du malade, teintée par ses traits de caractère, par ses modalités propres de transaction dans la famille et par la réminiscence éventuelle d’événements de vie antérieure. Tous ces éléments personnels s’entrechoquent avec les règles présupposées, voire imposées par ceux ou celles avec qui la personne âgée est en relation.
Repères, rites et interactions.
Les troubles du comportement posent le problème des interactions de type contenu-contenant qui sont en soi une source de tension, de stress et de conflits.
Beaucoup de personnes âgées ont leurs habitudes alimentaires et vestimentaires, leur rythme de vie propre. L’environnement qui les accueille désormais doit gérer au mieux leurs capacités d’adaptation. Remettre en cause ces usages établis depuis de nombreuses années n’est pas une mince affaire. Une personne âgée fragile, n’ayant jamais vécu en collectivité, peut être confrontée à une institution où les règles de fonctionnement sont vécues par celle-ci comme hyper normatives.
Les contraintes deviennent incontournables et, pour peu que la personne âgée soit psychorigide, ce qui arrive souvent, elles seront difficiles pour elle à élaborer. Il ne s’agit pas ici de dénoncer le manque de souplesse des personnes âgées et/ou les excès de règles dans les établissements, mais simplement de constater que lorsque l’on marche avec des chaussures trop petites, ni les chaussures ni les pieds ne sont responsables des douleurs, et que la pathologie est simplement dans l’interaction.
Isolement et dépression.
Ajoutons à cela que la personne âgée peut être dépressive ou présenter des troubles cognitifs. Elle peut être également insuffisamment prise en charge par un personnel en nombre limité dans un Ehpad. Le stress du malade, comme celui de l’environnement humain dans lequel il évolue, favorisent l’émergence d’une désadaptation relationnelle.
Un trouble du comportement est l’expression d’une protestation, maladroite et parfois insaisissable ou incompréhensible par l’entourage.
L’anxiété, voire l’angoisse ou la panique sont en arrière-plan de la détresse du patient. La dépression est fréquente en effet, en particulier dans un versant hostile. Les symptômes comportementaux et psychiatriques de la démence (SCPD) surviennent lorsque les capacités d’intégration des informations et d’expression du malade ne lui permettent plus de maîtriser comme auparavant son environnement. Rappelons enfin qu’un trouble du comportement chez une personne âgée peut être l’expression d’une plainte douloureuse ou d’un problème somatique surajouté à des problèmes démentiels.
Symptomatologie.
Par analogie à la schizophrénie, il est possible de distinguer des symptômes comportementaux positifs (agressivité, agitation, déambulation…) et des symptômes négatifs (repli sur soi, démotivation…). Ces derniers sont parfois négligés par les soignants, la personne âgée étant perçue comme tranquille ou aimant soi-disant la solitude, mais ils conduisent en fait rapidement à un désapprentissage, donc à terme à une dépendance surajoutée.
Tout comportement vise à l’adaptation à l’environnement, ce qui implique une triple intégration psychique cognitive, motivationnelle et émotionnelle. Un comportement mal adapté va conduire de facto à un échec de l’emprise sur l’environnement, source d’un stress qui perturbera les processus de la réadaptation comportementale.
Souffrance des aidants versus errance des patients.
Les enjeux des troubles du comportement ne sont pas les mêmes pour les aidants et pour le patient. Les premiers cherchent à contenir la situation et sont en demande d’un comportement adapté pour le malade, ou au moins que le problème ne se renouvelle pas. Quant à celui-ci, il exprime un mal-être impossible à élaborer.
L’expression de sa souffrance s’intègre dans le sens de son histoire de vie et, bien souvent, le trouble du comportement trouve son émergence dans la réminiscence d’événements antérieurs douloureux. Un « vieillard difficile » a pu avoir une enfance malheureuse, une vie chaotique et s’en être jusque-là sorti par sa pugnacité et sa volonté, qualités reconnues, mais désormais battues en brèche, car ne correspondant plus à l’image attendue par ses aidants pour une personne de son âge. L’image qu’a la personne âgée d’elle-même est en quelque sorte décalée par rapport aux représentations de son entourage.
Conséquences.
Les troubles de la personnalité sont une source fréquente d’entrée en court séjour psychogériatrique. Les patients borderline rendent souvent leur entourage familial dépendant d’eux-mêmes ce qui est à l’origine d’un fardeau psychologique supplémentaire qui s’ajoute à la charge en soin qu’ils induisent.
Les mécanismes de défense tout au long de la vie. Le vécu du vieillissement, de la dépendance et de la maladie est une épreuve difficile. Les personnes âgées se retrouvent souvent face à des situations très perturbantes : pertes de proches, institutionnalisation et abandon du domicile, vie en collectivité avec un rythme imposé, perte de repères… Il s’agit de situations qui peuvent engendrer des mécanismes psychiques de défense, afin de nous préserver d’une réalité vécue comme intolérable parce que trop douloureuse. Ces mécanismes de défense revêtent une fonction adaptative. Ce sont des processus involontaires et inconscients qui permettent de supporter des angoisses. Ils font partie de la vie quotidienne et doivent être respectés. Selon les mots de G.Ferrey et G.Le Gouès dans La psychopathologie du sujet âgé « la souplesse et la diversité des mécanismes de défense permettent au Moi de tenir en respect les désirs exprimés par le ça ».
Voici quelques exemples de mécanismes de défense :
- Le déni
- Le mensonge
- La banalisation
- L’esquive
- La fuite en avant
- La rationalisation
- La régression
- L’agressivité
- Les troubles du caractère : irritabilité, autoritarisme, reproches, demandes incessantes,
- Des comportements d’évitement
- Des préoccupations hypocondriaques
- L’Idéalisation
- L’Identification projective
- La mémoire sélective ou attention sélective
Se pose alors la question du vieillissement des mécanismes de défense, en particulier dans le cas des personnes atteintes de démence de type Alzheimer. Les mécanismes de défense se construisent tout au long de l’existence et évoluent avec le temps et les expériences. Les mécanismes de défense se modifient et surtout se complexifient avec la maturation du psychisme.
UNE PRISE EN CHARGE MULTIPLE
La prise en charge d’un trouble du comportement est simple comme le début de l’alphabet !
Il faut ainsi définir les antécédents du trouble, c’est-à-dire ce qui s’est passé juste auparavant et ce qui a pu le déclencher, comme ce qui, dans l’histoire du malade, a pu réveiller une telle difficulté. La gestion de la crise a-t-elle été bonne ?
L’environnement humain et matériel, selon qu’il est cadrant ou normatif, calme ou exacerbe les choses. Famille et soignants présents au moment du trouble, sans nécessairement être en cause, font partie du système relationnel du malade plus ou moins bien géré par ce dernier.
Les conséquences du trouble doivent être évaluées :
• immédiates, le patient peut s’être physiquement blessé durant l’épisode de troubles ;
• au long cours, les représentations du malade dans l’esprit de sa famille ou des soignants changeant considérablement après un débordement.
Les approches non médicamenteuses des troubles du comportement ne sont pas univoques.
Elles dépendent des moyens humains et matériels disponibles sur le lieu de vie du malade.
Elles ne dispensent pas, rappelons-le, d’une prise en charge médicamenteuse, par exemple pour une dépression, une anxiété aiguë ou une panique, ou pour traiter des symptômes psychotiques.
En matière d’approche architecturale, les mots-clés sont espace et calme.
Le troisième Plan Alzheimer 2008-2012, en cours de déploiement, prévoit la création d’unités de soins de longue durée (USLD) psychogériatriques spécifiques et protégées. Des malades déments mobiles ou fugueurs seront accueillis dans des structures où leur nombre sera volontairement limité, dans un espace adapté, suffisamment silencieux pour permettre des animations. S’occuper de malades déments, a fortiori posant des problèmes comportementaux, implique le soutien des intervenants.
Il conviendra de prévoir et d’organiser des temps et des espaces de parole pour les soignants.
L’approche relationnelle est très difficile.
Elle nécessite une bonne formation du personnel, un soutien, voire une supervision car il est pénible et parfois déprimant d’être constamment en compagnie d’une personne démente. L’aidant doit être en bonne santé physique et mentale. Investir dans la relation humaine avec le malade est une prise de risque affective et personnelle.
Il faut savoir prendre du temps pour s’asseoir à côté et à hauteur visuelle de la personne âgée, écouter et répondre. Ce temps permet de faire état de ses peurs en cas d’agressivité, celles du malade et les siennes. L’essentiel est d’assurer une congruence entre communication verbale et non verbale, la démence exacerbant la lecture non verbale dans la relation. Le vocabulaire sera adapté à celui de la personne âgée. L’approche relationnelle peut être préventive des troubles. En cas d’agressivité, par exemple, il convient d’intervenir précocement en identifiant une situation problématique et en intervenant avant qu’elle ne dégénère en crise. Face au délire, il vaut mieux éviter de ramener le malade brutalement à la réalité. En effet, le délire est à la fois protection et expression d’un moi fragilisé parce qu’il est l’expression d’une angoisse incontrôlée et bien souvent une réminiscence d’événements traumatisants. Il ne s’agit pas pour autant de rentrer dans le délire mais simplement de valider l’état émotionnel.
C’est en considérant « la personne démente comme un sujet à part entière, dans sa dignité, à respecter son intimité, à éviter toute forme d’infantilisation et à soutenir ses capacités défensives » qu’on pourra conserver plus longtemps les aptitudes sociales des patients. Cela sous-entend d’être en mesure de supporter les refus, de valider les colères, d’adapter sa propre vision du monde à la distorsion de la vision de la personne démente.
La sociothérapie peut être une autre approche.
Elle ne doit pas se confondre avec les activités occupationnelles, vite démotivantes pour le soignant. Il s’agit pour le malade autant d’une démarche de réhabilitation que de l’inscription dans sa ligne de vie. Le plaisir du soignant à participer à une activité est ici essentiel. Le but recherché dans les ateliers n’est en aucun cas une performance, mais plutôt une adhésion à un processus de réinsertion sociale par la pratique. Le soignant doit être formé tant au plan technique que psychologique.
La participation d’un malade à un atelier particulier doit être discutée en équipe, laquelle définira ensuite des objectifs : améliorer le relationnel du malade dans le groupe, travailler son estime de soi, faciliter la communication, etc. Ces objectifs permettent d’évaluer les résultats du malade dans sa trajectoire de soins et la réduction éventuelle des difficultés comportementales.
Par exemple, la musicothérapie est une forme particulière de sociothérapie qui utilise la musique comme un moyen de socialisation, de mobilisation émotionnelle ainsi que de stimulation cognitive. Elle vise à maintenir et à améliorer la santé mentale, physique, socio-affective et spirituelle du dossier malade. La finalité de l’atelier est de rendre la personne âgée active afin de lui faire parcourir l’étendue des sonorités. Le vécu des émotions suscitées et leur partage favorisent deux facteurs clés de la sociothérapie : le désir de communiquer et la dynamique de groupe.
L’approche des aidants familiaux ou institutionnels est fondamentale.
Les SCPD sont des indicateurs de leur tolérance du malade, de leur stress et de leur capacité à faire face. Ils mesurent indirectement le poids de leur épuisement et bien sûr le majorent. La demande des soignants face aux troubles du comportement se fait le plus souvent vers le médecin. Dans certaines circonstances, il est légitime de se demander pour qui la prescription médicale est réalisée : la personne âgée ou les aidants ? La peur de mal faire qui monte en écho derrière le comportement du malade catalyse volontiers l’orientation du transfert soignant vers le prescripteur et non vers le patient ce qui l’enferme un peu plus dans un non relationnel avec l’aidant.
CONCLUSION
Les troubles du comportement représentent un signal de détresse adressé de façon maladroite à l’entourage.
Dépassée, la personne âgée demande de l’aide, sur un mode où la première réaction de l’interlocuteur est le retrait. Le travail du soignant comme du médecin est avant tout d’écouter et d’essayer de la comprendre, puis de mettre en place un cadre thérapeutique, où l’accueil de la souffrance et la bienveillance ont autant d’importance que la technique du soin.
Ce cadre ne peut être improvisé.
Il doit être négocié et élaboré entre tous les intervenants du soin, et s’inscrire dans une démarche transdisciplinaire, faisant travailler ensemble des personnes issues de diverses disciplines et visant à décloisonner les approches de chacun en laissant ouvert le champ des hypothèses offertes à la compréhension du malade. Cela permet d’éviter de fixer des objectifs a priori sans tenir compte de ce qui pose effectivement problème. En effet, moins on connaît un malade, moins on en sait sur sa trajectoire de vie, plus on est éloigné du contexte, et plus grand est le risque de majorer ses troubles.